Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LES DERNIERS JOURS DE MUHAMMAD - HELA OUARDI

Publié le par Yahia

LES DERNIERS JOURS DE MUHAMMAD - HELA OUARDI

Un livre décevant -

Certes, ce livre est bourré d'informations que l'on trouve peu souvent ou que l'on connaît peu si on n'a pas lu de nombreuses biographies ou ouvrages sur le Prophète. Mais pour ceux qui ont quelque habitude de ces lectures, il n'a là rien de vraiment neuf : ce sont toutes des sources très anciennes et des citations que l’on peut glaner çà et là. Ce qu’il y'a de particulier, c’est qu’elles se retrouvent ici rassemblées en un ensemble chronologique qui a l’apparence d’être cohérent, et que de multiples précisions intéressantes et assez rares à trouver y figurent. Ajoutez-y les sujets importants qui y sont évoqués comme les querelles de succession, et le problème eschatologique. Du coup, cela peu sembler intéressant au premier abord, d’autant que ce livre de 363 pages affiche plus de 100 pages de lexique, de commentaires sur les sources, et de notes citant précisément les sources : alléchant.

Le problème, c’est que cet assemblage est fait en dépit de tout esprit critique, de toute réelle cohérence interne, avec des hypothèses extravagantes et invérifiables mêlées à des éléments plus solides. C’est surtout une vision d’ensemble qui manque cruellement à cet ouvrage qui se contente de « déconstruire » la version officielle sans rien proposer de solide à la place, sans vision politique, historique, économique , sociale ou religieuse de ces événements. Visions que l’on trouve dans d’autres ouvrages.

Quant j ‘écris « déconstruire », l’opération s’apparente plutôt à une démolition au bulldozer: on nous décrit une bande de vautours ignobles et sans scrupules s’affronter autour du Prophète mourant, isolé, dont le règne est en déclin, et qu’ils auraient peut-être même assassiné.

Ne vous y trompez pas : il ne s’agit pas là d’une entreprise chi’ite. Le calife ‘Âlî n’est pas mieux traité que les autres: on le traite d’inerte, de laid bedonnant brutal, de paresseux, et ses qualités de guerrier mises en doute. De même on traite ‘Umar de déserteur, violeur, brutal et cynique, tout comme Abû Bakr est décrit avec autant de délicates «nuances», et Uthman rapidement expédié. Le procédé est, à l’instar d’un Amir-Moezzi, mais avec moins de finesse, de reprendre systématiquement les thèses chi’ites aux fins de démolition de la présentation traditionnelle sunnite, reprenant les accusations les moins cohérentes qui restent cependant distillées, répétitivement, et longuement exposées aux fins de jeter le trouble. Je dis jeter le trouble et la confusion, car ces sources shi’ites, certes intéressantes, ne sont ni plus ni moins fiables au plan historique que les sources sunnites, et  l’accumulation de versions contradictoires, sans un filtre cohérent ni un ligne directrice n’éclaire en rien le fil de l’histoire. Le seul effet –voulu- est de contester l’hagiographie officielle.

Loin de moi l’idée de défendre inconditionnellement les hagiographies des 4 premiers Califes. Les traditions sunnites fourmillent suffisamment d’information et d’éléments négatifs sur eux pour s’en faire une idée nettement moins enthousiaste que celle qui est diffusée dans les brochures officielles. De la à en dresser un tel portrait aussi unilatéralement négatif, sans l’ombre de la moindre qualité humaine ! Du côté du Prophète, cela balance pas mal non plus, mais on sent un peu plus de retenue néanmoins. Là encore, si on a lu Ibn Hicham, on ne sera cependant guère surpris de ce qui y est décrit.

Quelques exemples concrets des approximations, incohérences, insuffisances :

Page 114 elle écrit « Il faut dire que le Prophète n’a pas une idée très haute d’Alî », suivi d’un portrait au vitriol, et : « On peut alors imaginer les réticences de Muhammad à confier les rênes du pouvoir à un homme aussi indolent ». Cependant, Pages 58 à 60, elle nous a expliqué que le « hadîth al ghadiîr », le dit de l ’étang, en mars 932, était attesté aussi bien du côté chi’ite que du coté sunnite. Le prophète aurait dit en public « celui dont je suis le seigneur,’Alî est son seigneur » ce qui serait selon l’auteur une désignation explicite de ‘Alî comma calife. L’auteur ne prend pas la peine d’expliquer cette très curieuse contradiction.

Dans la foulée, elle nous accrédite l’idée shi’ite d’un complot (elle concède : pas deux) pour tuer le Prophète, par ‘Umar et Abû Bakr, alors qu’on ne voit pas l’évidence de l’intérêt d’un tel crime si le successeur-rival ‘Alî vient d’être désigné ? Si Muhammad mourrait, ce serait automatiquement ‘Ali le successeur. Ou alors c’est que cette désignation en public n’a pas eu lieu ? Elle se maintient donc dans la confusion. De même aux approches immédiates du décès elle n’a aucun mot sur les chances d’Alî dans la succession.

Page 91, elle relate que le Prophète aurait liquidé tout ce qu’il possédait avant de mourir, sans contredire. Ensuite relate les sordides querelles sur son « immense » héritage. Il a été liquidé ou pas, finalement ? Un peu plus de cohérence ou d’explications dans son récit eût été bienvenu.

Quelques phrases surprenantes aussi venant d’un «historienne» critique : Page 59,  «L’ange Gabriel intime l’ordre au Prophète » pas de conditionnel, mais il s’agit de conforter sa thèse. On retrouve ce genre d’affirmations à d’autres passages. Dans le même genre, on trouvera page 137 une autre phrase très surprenante ou notre auteure refuse à ‘Umar le droit de contredire le Prophète, au motif que tout ce qui est proféré par le prophète est inspiré de Dieu , et de citer le coran 53 :-3-4. Le problème c’est que cette sourate ne parle pas d’une infaillibilité totale du Prophète dans tous ses propos, mais se limite bien au Coran. (Votre compagnon ne s'est pas égaré et n'a pas été induit en erreur et il ne prononce rien sous l'effet de la passion; ce n'est rien d'autre qu'une révélation inspirée que lui a enseigné [L'Ange Gabriel] à la force prodigieuse) Quoiqu’il en soit de sa signification profonde, recourir à l’argument d’autorité de la Révélation pour conforter un propos qui se veut hyper-critique est à tout le moins paradoxal.

Page 70, elle accrédite l’idée qu’Abu Bakr (et ‘Umar) aurait été intentionnellement écarté de Médine par le Prophète (à Jorf pour une expédition en Syrie) aux fins de l’écarter de la succession, elle explique ensuite le retour d’Abû Bakr au grand mécontentement du Prophète qui le renvoie. Page 184, Elle y dit d’Abû Bakr se sent obligé de demander au Prophète alité la permission de le quitter. On ne comprend pas pourquoi une « permission » si il y avait une volonté expresse de l’écarter de la part du Prophète.

De même cette volonté supposée d’écarter Abu Bakr est contredite pages 87-89 décrivant longuement et de manière détaillée sa participation à l’ultime présence du Prophète à la mosquée. Certes elle parle « d’ajout probable », mais pourquoi alors en faire 3 pages et non une simple note en bas de page? La confusion règne une fois de plus, et sur quels éléments probants remettre en cause la version de cette présence et non la version de l’écartement ?

Page 194, elle en remet une couche sur la « mystérieuse absence» d’Abû Bakr : « pourquoi Abû Bakr n’était-il pas à Médine au moment du décès ? pourquoi était-il allé à Sonh, loin de Médine,… ? » et d’insinuer des basses manoeuvres complotistes pour payer des gens . Elle venait d’expliquer page 192 que c’était pour des raisons familiales et que Sonh n’était qu’à deux kilomètres, et donc banlieue très proche de Médine, à quelques minutes… Alors loin ou pas loin?  raison familiales ou pas? encore une incohérence non résolue de l'auteure

Ce procédé d’insinuations est une constante : Page 192 elle glisse que la colère de ‘Umar refusant la réalité de la mort du Prophète est "peut-être" sur-jouée, une stratégie (Pg 194), et que les tentatives d’Abu Bakr de le calmer sont simulées. D’un questionnement, qui peut être intellectuellement légitime, elle passe aux certitudes, sans élément probant, et devient carrément affirmative page 199, parlant de "coup politique", sans aucun élément probant à clé.  Ce procédé d’insinuations constantes se lit également, parmi beaucoup d’autres, dans une phrase comme celle-ci, page 175 , après avoir évoqué diverses hypothèses invérifiables sur un empoisonnement ou sur une pleurésie: « la confusion de la Tradition sur la cause de la mort de Muhammad est sans doute l’indice qu’elle tente (maladroitement) de dissimuler un crime. » !!!!

Chapitre 13, elle fait, après d’autres, d’interminables considérations sur la légitimité ou l’illégitimité la succession, laquelle est historiquement invérifiable actuellement. Elle conclut quasiment à un complot de harem pour imposer Abu Bakr ! Mais, par contre, elle ne réalise aucune recherche sur les raisons politiques des alliances significatives qui ont fait emporter un clan sur les autres . Si sa thèse relevait de faits exacts, elle n’explique en rien la raison pourquoi la réussite de ce « coup de force »: les Ansars de leurs côté avaient bien essayé le leur, qui a échoué. Là ou une analyse sociologique et politique des groupes en présence aurait pu éclairer les enjeux, notre "historienne" se tait.

La réunion de la saqîfa des Banû Sâ’ida est brièvement évoquée à plusieurs endroits, jamais expliquée ni développée. Or c’est justement au cours de cette réunion capitale, dramatique et décisive, qu’ont été développés les arguments contradictoires relatifs à la succession et que la plupart des protagonistes, hormis les shi’îtes, ont défendu leurs point de vue divers. C’est là la clé de tous les enjeux politiques. Certains historiens1 nous en ont laissé d’intéressants développements, qui mettent en évidences les conditions des alliances et des rapports de force ayant aboutit très logiquement (sinon très heureusement) à la désignation des successeurs. Il est étonnant que l’auteure se taise à ce propos, si ce n’est que cette réunion cadre mal avec son propos. A tout le moins, une analyse socio-politique, ne s’accorde pas avec sa dramaturgie, qui se concentre exclusivement et pesamment sur de mesquines ambitions personnelles, aidées par un sordide complot.

Dans ces différentes considérations sur la remise en cause systématique de la Tradition, elle glisse sur l’incertitude quant à son âge et à la date de son décès…pas la soixantaine, mais 40- 50 ans , pour finir par dire, page 178, que la date de la mort en 632 à Médine « est sérieusement remise en cause par diverses sources non-musulmanes »disant que le prophète était en vie en 634, et à Gaza, menant une campagne victorieuse. (une note renvoie aux pages 243-245 accréditant les thèses de S.J Schoemaker). Oubliant que si cela était exact, et si on se rappelle des victoires arabes des musulmans en Syrie en 635 à Damas, et en 636 au Yarmuk, cette continuité victorieuse devait amener notre auteure à gommer et réécrire plus de la moitié de son livre situant sur les évènements à Médine au moment d’une crise après des batailles perdues et non au moment de l’expansion victorieuse à Gaza…( page 40 :" les dernières entreprises militaires menées par le Prophète ( en Syrie), et qui n'ont pas remporté le succès escompté (…) c’est l’amorce d’une profonde crise politique interne qui marquera les derniers mois de la vie de Mumhammad". etc..)

On ne manquera pas de noter qu’elle se contredit une fois de plus page 202 , en citant une lettre datant de Juillet 634 , émanant d’un juif rabbinique qui parle de Muhammad au passé : « il proclamait la venue du Messie » (donc, à ce moment, le Prophète était décédé, et non pas guerroyant à Gaza) ;

Je ne m’étendrai donc pas sur la précision de la date, qui m’importe finalement assez peu, pour souligner une fois de plus, les incohérences de ce livre où il semble qu’il suffit qu’un récit soit plus contraire à la tradition pour qu’il paraisse plus intéressant pour l'auteure, à défaut d’être crédible, et sans souci aucun de cohérence.

Les deux derniers chapitres, sur les "Questions historiographiques" ont des titres assez  éloquents en matière de partialité non critique  , que je vous borne à citer ici :

1 les révélations (sic!)  des sources non-musulmanes

2 les sources musulmanes : écrire l'histoire ou raconter des histoires

Visiblement c'est cette dernière manière d'écrire qu'elle a choisie pour écrire son livre.

En conclusion

Certes, les diverses sources se contredisent souvent, et il peut donc y avoir de multiples confusions. Ces divergences viennent bien des sources. Mais  c'est précisément le travail de l’historien que d’essayer de démêler l’écheveau et d’en tirer - si possible- un fil conducteur.

On ne se contredit pas en citant plusieurs sources contradictoires pour conclure à l’incertitude. Ou en choisissant une série de faits probables parmi d’autres et en établissant un récit cohérent à l’aide de ceux-ci.

Par contre, on se contredit en citant une source pour affirmer  un fait comme établi, puis en citant une autre source pour affirmer un autre fait comme établi, oubliant entre-temps que ces deux sources se contredisent entre elles.

Dans ce cas, on passe d’un travail d’historien à un travail d’idéologue, ou pire, de publiciste brouillonne des temps modernes pour laquelle le sensationnel médiatique prime sur la vérité et les embarras des incertitudes qui persistent.

 

 

 

Note 1: M.Abed-Jabri " la raison politique en islam"

Commenter cet article
N
Effectivement c`est un assemblage de tout ce qu`il y a de farfelu dans ce qui a été dit sur l`Islam, son prophete et les premiers musulmans. Le livre nous rapporte meme certaines fables ridicules qui circulaient en Europe miedievale. L`auteur n`a meme pas essayé d`examiner ce qui est contradictoire dans certaines elucubrations. Je pense qu`il ne peut avoir aucun impact sur le croyant, il est, a mon avis destiné a ceux, decus par le politique et le religieux en occident pourraient se mettre a chercher a s`informer sur l`Islam.
Répondre
M
Je partage votre recension critique. Ce livre est inutile. Ce n'est ni une œuvre académique ni scientifique. Plutôt un patchwork d'événements dont les sources sont contradictoires. Écrit par une femme ce livre plaira aux femmes passionnées de gossip s'agissant de la famille du prophète. Si ce livre n'a pas dérangé les mollahs parce qu'en occident il n'a pas eu le succès de Salman Rushdie à cause de la basse qualité littéraire.
Répondre
G
vous vous êtes acharné (sans doute car le contenu du bouquin vous déplaît) à relever ces supposées incohérences en omettant de prendre en compte l'élément principal à considérer en lisant ce bouquin: RIEN des événements ni des dates rapportées par l'auteure n'émane de son imagination ou de son interprétation personnelle; vous avez en fait tout simplement démontré (chose que tout le monde savait déjà) que les sources historiques sont contradictoires et imprécises (et peut-être bien motivées dans la plupart des cas); inspirez et expirez profondément, et relisez le bouquin sous cet angle-là, vous arriverez peut-être à dépasser cette peur originelle du blasphème.
Répondre
F
L'auteure de ce blasphème est sans doute motivée par des pensées racistes a l'encontre de l'islam ce qui explique son acharnement. Malheureusement pour cette auteure inconnue en voulant attirer l'attention des lecteur elle a signé sa mort littéraire
Y
Nul acharnement de ma part, mais simple constat de manque de rigueur dans la critique historique.Je n'ai pas dit que ce qui était relaté émanait des l'imagination personnelle de l'auteur, loin de là. J'ai dit que c'était une simple collecte de sources anciennes divergentes, non filtrées. ces sources elle-mêmes n'on pas fait l'objet d'une analyse critique sérieuse. Elle n'a rien inventé, certes, elle n'a fait que répéter, sans esprit d'analyse et sans critique de ses sources. Il n'y a dans mon chef aucune peur originelle du blasphème, loin de là. Il y a cependant un agacement devant la légèreté de certains écrits, qui ne cherchent pas honnêtement la vérité. Je puis accepter la tentative de déconstruire un mythe, si cela est fait de manière rationnelle, détachée du résultat et objective. Ce n'était pas le cas .Respirez un bon coup et relisez calmement mon article sous ce sens-là.
B
L'auteur de ce billet me semble pourtant dénoncer des paralogismes et des lacunes en matières de dialectiques dans les travaux de Hela Ouardi. Il s'agit donc bien de l'interprétation, souvent arbitraire, qu'elle faits de sources historiques. En l'occurrence je retient de l'article ce gros sophisme ad ignorantiam « la confusion de la Tradition sur la cause de la mort de Muhammad est sans doute l’indice qu’elle tente (maladroitement) de dissimuler un crime. » Autrement dit en l'absence de preuves, et en l'absence de faits vérifiables qui ne soient pas contredits, elle conclu. Il ny'a pas de preuve de... donc c'est la preuve que... <br /> Bref j'ai entammé la lecture de ce livre et il est bourré d'assertions qui découlent des paralogismes qu'elle fait pour interpréter des sources contradictoires. Elle est très dispersée et incohérente, sa dialectique est faible ce qui fait que ses biais cognitifs sont nombreux.