Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

AL ANDALÛS 1: La CONQUÊTE et l'EMIRAT

Publié le par Yahia

DSC_1924_702-copie-1.jpg  

  Introductioni

 

Je vous livre ici une petite présentation que j'ai faite à l'occasion d'un voyage culturel:

 

De nos jours, Al ANDALÛS a toutes les caractéristiques et l'attrait d'un mythe fascinant. Cette époque a en effet laissé dans l'imaginaire arabe, maghrébin en particulier, une très grande empreinte, où la fierté de la grandeur passée se mêle à la nostalgie d'une époque révolue. En ce temps-là, la plus grande et la plus riche ville de l'Europe, Cordoue, était musulmane , abritait les savants les plus illustres, notamment Averroès, et les sciences arabo-musulmanes attiraient les érudits du monde chrétien entiers (ceux-ci viendront recueillir, notamment à Tolède,perdue, la transmission de l'héritage grec et des sciences arabo-persanes). De notre côté, ce mythe nous fascine par l'image forte d'une époque où les trois «religions du Livre» ont été capables de vivre en paix , et où se serait développé un « Islam des lumières».C'est devenu un mythe exemplaire, que certains voudraient reproduire en refaisant ici un Europe un nouvel Andalûs Moderne.

 

Par contre d'autres contestent toute réalité historique à ce mythe, rappellent les conditions humiliantes vécues par les dhimîs, les persécutions, et les troubles, et vont même jusqu'à dénier tout apport culturel arabe à notre civilisation.ii

 

Qu'en est-il ? Je vais tenter de vous aider à y voir un peu plus clair en brossant de manière très rapide un résumé de l'histoire de Al Andalûs., sans vous cacher mes propres idées, mais en vous laissant le soin de conclure par vous-même et les moyens d'aller chercher des renseignements plus approfondis.

 

Il faut tout d'abord remarquer que cette histoire s'étale sur presque huit siècles, de 711 à 1492, et qu'elle a été au moins aussi mouvementée, complexe et même compliquée que celle de notre principauté de Liège de Charlemagne à Charles-Quint. J'espère que cette comparaison vous fera comprendre combien il est imprudent et hasardeux de parler de cette civilisation de manière trop générale et sans nuances.

 

Je vais cependant tenter de synthétiser .

 

Le premier siècle de conquête rapide et d'établissement, fut suivit de trois siècles prospères constituant l'âge d'or de'Al Andalûs, d'abord sous l'émirat de Cordoue, esnuite le Califat de Cordoue qui fut l'apogée de cette civilisation, et enfin vinrent les premiers petits « royaumes » appelés. « Taïfas » . Ces trois siècles furent ceux au cours desquels les diverses communautés vécurent le plus harmonieusement.

 

Ensuite le déclin, depuis le 11° siècle , au cours duquel la faiblesse et la désunion des Andalous ne put faire face à la Reconquista catholique. Ce déclin est marqué par les deux irruption des dynasties maghrébines appelées à l'aide en Andalûs: les almoravides en 1050, pendant un siècle et par les almohades en 1130, pendant un autre siècle . Celles-ci imposèrent un climat culturel plus rude, voire intolérant, mais laissèrent éclore à leur cour une vie intellectuelle produisant les plus grands philosophes, dont Ibn Rushd-Averroès

.

Pour finir, les deux derniers siècles des Nasrides à Grenade, les autres petits états étant disparus sous la Reconquista, avec le dernier éclat à Grenade d'une civilisation flamboyante mais dont le territoire se réduira de plus en plus jusqu'à sa perte.

 

 

1° L'expansion et l'établissement

 

Tout le monde connait l'expansion rapide de l'Islam depuis l'Hégire en 622 : en 50 ans à peine, la Syrie et l'Egypte étaient conquise,l'empire Perse s'effondrait, Byzance perdait tout le Sud et l'Est de la Méditerranée.

 

La conquête du Maghreb cependant se heurta à plus de difficultés, notamment en raison de la résistance des Berbères, et il a fallu attendre jusqu'en 705 pour que s’installe en Ifriqiyya (en Tunisie) un gouverneur stable à Kairouan , Musa bin Nusayr, capable de soumettre la région et de poursuivre l'expansion vers le Maghreb.

 

C'est un lieutenant de ce gouverneur de Kairouan qui a entamé la conquête de l'Andalousie. En 711,Târiq b. Ziyâd a débarqué en Andalousie et a battu le roi Wisigoth Roderik. Moins de dix ans plus tard les arabo-berbères atteignaient Narbonne en Septimanie (Languedoc actuel), également sous domination wisigothe

 

L'effondrement très rapide du royaume Wisigoth s'explique par les divisions internes entre clans contestant la légitimité du roi en place, et des troubles socio-économiques importants. Par ailleurs, les très dures persécutions des juifs par les wisigoths iiiont également fournit aux arabes de précieux alliés sur place. On a vu ainsi les arabes confier la garde de certaines villes nouvellement conquises aux juifs,(comme Cordoueiv) pendant qu'ils poursuivaient ailleurs les conquêtesv.Quant aux villes tombées, celles qui avaient vainement résisté étaient soumises au pillage et leurs habitants réduits en esclavage. Mais celles qui s'étaient rendues sans combattre bénéficiaient de traités de reddition, garantissant leurs droits, qui ont prévalu tout au long du règne des ommeyades, et furent imités plus tard par les chrétiens lors de la Reconquista. Ces traités laissaient à la population leurs institutions, leurs églises,la liberté de culte et aux nobles de la place leurs propriétés, moyennant le payement d'un tribu . En interne, ils disposaient d'une très large autonomie : ils choisissaient un représentant, restaient sous l'autorité de l'église et de leurs juges (selon la législation wisigoth)vi, mais c'était l'autorité du Calife et de la législation musulmane qui prévalaient dans les rapports inter-communauté 

 

En ce qui concerne les troupes engagées, elles comportaient une minorité d'arabes, envoyé depuis Kairouan et regroupés par tribus (Jund) probablement 12.000 hommes dans la première phase, soutenus par de très forts contingents berbères. Par la suite les troupes, principalement berbères, s'accrurent et l'on parle, en ce qui concerne les contingents arabe, de chiffres de l'ordre de 30 mille à 60 mille hommes au maximum.vii

 

L'expansion qui s'est produite jusqu'en Septimanie, comme je l'ai déjà dit, fut stoppée à Poitiers en 732 à la fois par l'expansion du royaume Franc mais également du fait des les troubles et divisions internes parmi les musulmans,précisément à ce moment-làviii. De plus, les troupes étaient fort éloignées de leur base principale.Assez rapidement donc, les francs poussèrent jusqu'à Narbonne, ensuite jusqu'à Barcelone .Notons que l'on a vu à cette époque un noble chrétien, patrice de Marseille s'allier aux musulmans et leur livrer des cités (Arles,Avignon) par souci d'échapper à l'hégémonie franqueix. Les querelles locales et les intérêts féodaux des petits potentats locaux avaient bien plus d'importance que toute autre considération , même religieuse à cette époque. On verra ainsi tout au long de l'histoire d' Al-Andalus, se nouer de curieuses alliances de princes chrétiens soucieux de leur autonomie et s'alliant au puissant voisin musulman de Cordoue ou des princes musulmans s'alliant aux chrétiens pour échapper au pouvoir centralisateur de Cordoue.

Par exemple, ce sont des musulmans de Saragosse qui ont demandé en 778 de l'aide à Charlemagne,xlequel échoua, et connu, au retour, l'épisode de Roncevaux. Des alliances matrimoniales se conclurent également entre princes musulmans et chrétiens frontaliers, pour lesquels la hauteur du rang de noblesse prévalait sur la religion; de fait, chrétiens et musulmans avaient le sentiment d'être du même peuple.C'est nous qui avons « oublié » qu'il s'agissait là d'européens, de religion et de cultures différentes , mais d'européens. Ce n'est pas seulement l'histoire des arabes comme on le pense maintenant, mais l'histoire du peuple espagnol de confession musulmane, et de culture arabe . Et que, de ce fait l'islam et la culture arabo musulmane appartiennent également à notre patrimoine européen . De façon partielle, certes , mais très réelle même si on tente de gommer la réalité historique par pure idéologie ( comme on le gomme pour l'Europe balkanique.)

 

Les frontières au Nord restèrent stables pendant trois siècles après la prise de Barcelone par les Francs en 801 (comme pour Narbonne, ce furent des divisions internes parmi les musulmans qui rendirent possible la victoire des Francs). Toutefois, les petits royaumes chrétiens du Nord, Aragon, Navarre,Léon et la Castille furent plus ou moins vassaux des princes musulmans avant que la situation ne s'inverse au 11° siècle

 

Dans les premier temps (de 716 à 756), les gouverneurs sur place étaient nommés par le gouverneur de Kairouan, lui-même nommé par le calife de Damas. Pour empêcher toute velléité d'autonomie, ces gouverneurs étaient très souvent changés, quasiment une fois par an.Il faisaient tous partie de l'aristocratie militaire des tribus arabes. Les territoires les plus riches étaient attribuées entre les différentes tribus militaires arabes , groupées en «Jund». Les territoires restants étaient dévolus aux berbères , et n'oublions pas les terrains restés aux mains des vaincus par traité. Cela faisait un enchevêtrement assez complexe : les d'arabes du nord « Qaysites » et les tribus arabes yéménites «Kalbites», les tribus berbères, les tribus juives citadines, et surtout la masse de la population d'origine, restée chrétienne, mais se convertissant progressivement à l'islam et devenant ainsi les tribus muwallads. Dans certaines régions, les berbères dominaient, dans d'autres les arabes, beaucoup plus rarement les «muwallads» (=affiliés),c'est à dire les descendants de convertis,comme à Saragosse. Dès lors, pour maintenir son autorité, le gouverneur devait tenir compte d'un équilibre à établir entre les différentes factions tribales composant la société., notamment en choisissant ses représentants parmi les puissants locaux . Lorsqu'un clan était trop défavorisé, cela entraînait automatiquement des troubles et des rébellions .L'histoire d'Al Andalûs est émaillée, tout au long des trois premiers siècles, d'incessantes tensions essentiellement tribales.

Les rebellions sporadiques restaient cependant dans la logique de la culture arabo-musulmane et ne la remettaient nullement en cause (sauf à la fin de la rébellion d'Ibn Hafsûn (m.918)xi: ainsi les grandes familles muwallads (converties) se lancent-elles à l'assaut de l'émirat de Cordoue avec l'encouragement de poésies guerrières composée en arabe de la même manière que celles de leurs adversaires. Ou encore les berbères combattent les arabes, à l'aide de guides spirituels se voulant plus fidèle au Prophète que le khalife lui-même.

 

Progressivement, mais rapidement, la balance entre les andalous restés chrétiens et les convertis pencha massivement en faveur des convertis. On estime que c'est au plus tard au 10 ° sièclexii que la balance avait basculé en défaveur des chrétiens, qui se stabilisèrent finalement vers 25 % maximum de la population. Et déjà les populations restées chrétiennes avaient elles-aussi absorbé la culture arabo-musulmane, au point que même les quelques chrétiens qui se réfugiaient dans les petits états chrétiens du nord passaient pour arabes , d'ou leur nom de Mozarabes.

 

Une lettre écrite par un chrétien de Cordoue, Alvaro, à cette époque est très significative de l'évolution de la culture arabe au moins dans les villes:

 

«Mes coreligionnaires aiment à lire les poèmes et les romans des arabes; ils étudient les écrits des théologiens et des philosophes musulmans, non pour les réfuter, mais pour se former une diction correcte et élégante. Ou trouver aujourd'hui un laïc qui lise les commentaires latins sur les Saintes Ecritures? (...)Quelle douleur! Les chrétiens ont oublié jusqu'à leur langue, et sur mille d'entre nous vous en trouverez à peine un seul qui sache écrire correctement une lettre latine à un ami. Mais s'il s'agit d'écrire en arabe , vous trouverez une foule de personnes qui s'expriment dans cette langue avec la plus grande élégance, et vous verrez qu'elles composeront des poèmes préférables, sous le point de vue de l'art, à ceux des arabes eux-mêmes.»xiii

 

Il parle là de la disparition du latin, comme langue savante mais il restait encore la langue populaire le roman , souvent écrite en lettres arabe. Ce roman a décliné plus lentement au profit de la langue populaire arabe locale, l'andalusî. Les mozarabes eurent bien au départ des élites qui participèrent aux hautes fonctions de l'état, mais ces élites furent les premières à se convertir et de plus la communauté mozarabe se disolva finalement rapidement, sauf à Tolède.

 

Le Juifs de leur côté , ont subi une influence très forte de la culture arabe, leurs auteurs écrivant le plus souvent en arabe, même si l'hébreu écrit était préservé pour le religion et la poésie.Il y avait chez eux une imprégnation culturelle arabo-musulmane très marquante,comme on le voit chez les auteurs les plus illustres d'entre eux, Ibn Gabirol (m.1058) ou Maïmonide, né à Cordoue en 1135, et réfugié au Caire(1204). Cependant leur communauté prospérait, entretenait de multiples échanges notamment avec les juifs « babyloniens », leurs élites participaient régulièrement aux hautes fonctions de l'état, comme Hasdai Ibn Shaprut (975) ou Samuel ha-Nagid (1056) et leurs commerçants participaient activement au développement économique du pays. Cette communauté apporta au monde les intellectuels parmi les plus importants d'andalousie, dans la lignée de la culture arabo-musulmane , comme je viens de le dire. C'était une communauté intellectuellement bien plus active et plus fructueuse que celles des chrétiens, sur le déclin. C'est d'ailleurs cette communauté juive qui, plus tard,lors de la Reconquista, et avant de se faire expulser, servit de meilleur relai de transmission de la culture arabo-musulmane vers l'occident chrétien , notamment par leurs compétences linguistiques.

 

(A ce propos, A.Hüsler voit dans cette transmission, par les centres de traduction par les trois communautés de Tolède Mozarabes, Juive et Mudéjar « l'expression par excellence de la coexistence »Il note :« La sauvegarde et la transmission du savoir grec, persan, indien et arabe à l'Occident est donc la résultante de l'activité de l'élite intellectuelle appartenant à toutes les races et les religions »xiv )

 

l'Emirat 756-929

 

Il y a eu au Maghreb, vers 740, une rébellion très forte des berbères, inspirés par l'idéologie extrémiste égalitaire de Kharidjites. Elle a eu des répercussions chez les berbère d'Al Andalûs, et a également facilité une distanciation du pouvoir de Kairouan. Chaque clan essayait alors de s'emparer du pouvoir pour son propre compte: c'est ce que l'historien Ibn Khaldûn désignait sous le nom d'assabiyya.

 

Or à ce même moment, la révolution Abbasside venait d'abattre le pouvoir omeyyade à Damas et de s'installer à Bagdad en 750. Un des rares Omeyyades ayant échappé au massacre de sa famille, le très habile 'Abd-el-Rahman 1°, a réussit à tirer profit des dissensions claniques en Al-Andalûs pour s'y emparer du pouvoir, prendre le titre d'Emir, en 756, et imposer le pouvoir centralisé de Cordoue en toute indépendance de Kairouan et Bagdad

 

C'est lui qui fit bâtir la première phase de la grande mosquée de Cordoue en 780, que chacun des successeurs se fit un devoirs d'embellir et d'agrandir au point d'en faire la plus grande du monde musulman à l'époque. Du point de vie culturel, le modèle suivi est celui de Bagdad, la plus importante ville du monde arabe. Un célèbre musicien irakien, Ziyâb, en est venu en 822 et influença notablement la mode vestimentaire luxueuse, les bijoux, la musique, pour la haute société cordouane jusqu'en 857.

 

'Abd-el-Rahman a maintenu très fermement l'autorité centrale, par une politique , suivie par ses successeurs ,Hishâm1er, Al Hakam 1er, Abd-el-Rahman 2°, Muhammad 1er, etc.. Il n'hésitait pas à réprimert très sévèrement toutes sortes de rébellions de différentes factions désunies, les berbères ou les muwallads, ou les yéménites que j'ai déjà évoquées. Il a également en installé dans les villes les plus indociles des forteresses gouvernementales, comme à Tolède (muwallads et mozarabes) et à Merida (berbères). L'émirat devient une puissance très importante et prospère, au point que sa capitale, Cordoue, devint la vile la plus importante d'Europe , avec une population gigantesque pour l'époque : on cite un chiffre de 300.000 habitantsxv, alors que Paris n'en avait environ que 20.000 Elle était cependant moins importante que Bagdad, qui restait le centre culturel indétrônable du monde musulman. Les différents apports et le mélange culturel andalou, malgré le modèle prédominant de l'Orient, donnaient un dynamisme tout à fait remarquable et intéressant , sur lequel nous reviendrons plus tard.

 

L'autorité de l'émirat était également maintenue par quelques excursions saisonnières dans les royaumes du Nord.Ces razzias dans le nord ne visaient pas la conquêtes , mais bien l'affirmation de la puissance des Emirs , en même temps que l'exercice sacré du Jihâd. Dans cette pratique je dirais «traditionnelle» de pillages multiples, qui rapportait du butin variable et des esclaves,on peut noter , plus tardivement, le sac de Saint-Jaques de Compostelle, dont la cathédrale fut rasée, mais dont que le tombeau de saint Jacques fut préservé de la destruction sur ordre exprès d'al-mansûrxvi,, ce qui donne à penser que ce c'est bien l'affirmation du pouvoir qui était en jeu et non l'identité cultuelle. En effet les Cathédrales, comme les grandes Mosquées étaient l'occasion de magnifier le pouvoir des Princes : ces symbloes de puissances pouvaient donc être abattus, mais le tombeau des saints étaient irremplaçables et sacré pour chacun .

 

Les émirs, puis les califes ont constamment utilisé les lettrés chrétiens ou juifs dans leur administrationsxvii, mais, bien plus, il n'hésitaient pas à nommer aux poste-clés des vizirs (des ministres) les personnalités les plus aptes même s'ils étaient chrétiens ou juifs.Ce trait n'était pas particulier à Al ANDALÛS , mais commun à toute la civilisation arabo-musulmanexviii. En contre-partie, il pouvait arriver que ces mêmes ministres, et parfois la communauté dont ils étaient issus, servent de bouc-émissaires à la vindicte populaire se rebellant contre des mesures impopulaires, notamment des taxes excessives.(Par contre le Pogrom de Grenade en 1066 a été provoqué parce que le grand vizir juif Samuel ibn Negrella eut l'imprudence se faire succéder dans sa fonction par son fils, comme cela se faisait dans des « dynasties » de vizirs musulmans, ce qui excéda la jalousie de religieux excitant la populace)xix. Pour ce qui est du fondement religieux, de la « licéité » de la confiance en les juifs , d'une part et de celle de leur massacre, d'autre part, chaque partie se basait évidemment sur leur propre interprétation des mêmes textes, masquant ainsi leurs réelles motivations, plus triviales.

 

En autre exemple de ces rapports complexes entre religions, il y a l'épisode des martyrs de Cordoue :

 

Il y a eut à une époque, vers 850 , à partir d'un malheureux incident, une vague de chrétiens candidats martyrs dans la ville de Cordoue: C'étaient des chrétiens désirant obtenir le Paradis par le témoignage de leur foi comme le firent les premiers chrétiens. Le problème était qu'ils étaient libres de pratiquer leur culte, et non persécutés: c'était donc difficile d'obtenir le martyre dans ces conditions.Ils avaient alors imaginé l'astuce d'insulter en public le Prophète et sa religion,et gifler les imamsxx: c'était légalement punissable de mort. Il faut remarquer que tous ces martyrs on été jugés dans des procès au cours desquels les cadis (juges), plus embarrassés par cette attitude que vengeursxxi, essayaient de les faire revenir sur leur propos ou de les excuser du prétexte de la folie, en vain. Parmi les dirigeants de cette curieuse fronde, qui était également destinée à provoquer un sursaut de foi et de dignité parmi les chrétiens, figure l’évêque de Cordoue, qui obtint lui aussi le martyre. Pour mettre fin à cette vague, qui pouvait perturber l'ordre public, l'Emir Abd-al-rahman 2° convoqua l’archevêque métropolitain de Séville,primat de l'église en Andalousie, afin qu'il mette fin à ce mouvement parmi ses fidèles: un concile des évêques fut convoqué à cet effet, l’émir s'y faisant représenter par un fonctionnaire chrétienxxii.

 

Je vous invite à considérer le fossé immense qui sépare cette attitude rationnelle et relativement conciliante à celle de l'inquisition espagnole quelques siècles plus tard. C'est ce genre de comparaison qui a valu à Al Andalûs sa réputation d'époque de tolérance et de convivialité. Quant on a le sens de la relativité des choses par rapport aux circonstances socio-historiques, et sans faire d'angélisme,il y a là effectivement matière à réflexion et à nourrir le mythe positif qu'est devenu Al-Andalûs de nos jours.Cependant, cette attitude n'est pas propre à Al-Andalûs, mais se retrouve ailleurs dans l'histoire du monde arabo-musulman : il suffit de considérer un autre mythe, celui du chevaleresque Saladin qui a repris Jérusalem effectivement sans effusion de sang, quelques années après que les croisés aient massacré toute la population juive et arabe (musulmane ou chrétienne) de cette ville.

 

De même, ce n'est qu'à la cour des princes et parmi l'élite la plus éduquée que l'on assista à des débats savants et courtois entre lettrés des différentes religions. Comme partout ailleurs, dans ces temps reculés , le reste de la population , les «petites gens» ,dirions nous de nos jours,étaient considérés avec beaucoup de mépris : on parlait plutôt de «populace».

 

iNOTES BIBLIOGRAPHIQUES POUR APPROFONDIR LE SUJET

(ne sont cités que les ouvrages consultés)

ii Entre autres idéologues : Gougenheim « Aristote au Mont Saint-Michel » Seuil 2008 , que l'on ne peut citer sans son antidote , l'excellent « Les grecs, les Arabes et nous » Fayard 2009

iiiH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T1, Pg 80

ivEncyclopédie de l'Islam 2 Article Kurtuba,

vH.LEVI-PROVENCAL »Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve 1999 T1 pg 22. et P. GUICHARD  « Al-Andalus » Pluriel 2011pg 23

viH.LEVI-PROVENCAL « Espagne Musulmane au X° siècle» Maisonneuve & Larose 2002 pg 37

viiP. GUICHARD  « Al-Andalus » Pluriel 2011 pg 31

viiiBLANQUIS-GUICHARD-TILLIER « Les débuts du monde musulman » pg. 119

ixCollectif-M.ARKOUN dir« Histoire de l'islam et des Musulmans de France »Albin Michel 2006, pg 40

xH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T1, pg 123

xiP. GUICHARD  « Al-Andalus » Pluriel 2011 pg 69

xiiP. GUICHARD  « Al-Andalus » Pluriel 2011 pg 59- 60

xiiiP. GUICHARD « Al-Andalus » Pluriel 2011 Pg 56

xivA. HÜSLER « L'espagne Médiévale » Infolio 2008 pg 93

xvP. GUICHARD-B.SORAVIA « Les Royaumes de Taifas » Geuthner 2007 pg 159

xviH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T2 pg 251

xviiH.LEVI-PROVENCAL « Espagne Musulmane au X° siècle» Maisonneuve & Larose 2002 pg 111

xviiiB:LEWIS « Islam » - « Juifs en terre d'islam » Quarto Gallimard 2005 Pg.476

xixA. HÜSLER « L'espagne Médiévale » Infolio 2008 pg 43

xxA. HÜSLER « L'espagne Médiévale » Infolio 2008 pg 41 et P. GUICHARD « Al-Andalus » Pluriel 2011 Pg 62

xxiH.LEVI-PROVENCAL « Espagne Musulmane au X° siècle» Maisonneuve & Larose e 2002 pg 34

xxiiH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T2, pg 153 (plus complet et précis)

Commenter cet article
R
Merci pour cette présentation que je prends enfin le temps de lire ^^
Répondre