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AL-ANDALÛS 2 : Le CALIFAT et les TAÏFAS

Publié le par Yahia

cordoue-Palais.jpgLe Califat 929-1031

 

En 912, après une période de troubles et de faiblesse du pouvoir de Cordoue, L'émir 'Abd-el-rahman 3° accède au pouvoir , reprend en main les territoires dissidents, et en 929 se proclame calife, amir al mu'minîm, avec le titre (laqab) « al Nâsir li dîni-Llah »( le victorieux pour la religion de Dieu).

 

Il fonde la ville princière d'al-Zahrâ' aux portes de Cordoue, ville luxueuse et gigantesque , construite avec des matériaux précieux, qui a englouti une grande part du budget de l'état et dont il reste encore quelques vestiges sur place. Toute la cour et l'administration centrale y a été logée , de même que les ateliers princiers (armes, monnaies, textile-tirâz, céramiques, etc...) Poètes, artistes et savant y furent invités et firent l’ornement d'une cour très prestigieuse et sophistiquée, sur le modèle de la cour abbasside. Ses successeurs y placeront une bibliothèque immense. Pour ce qui est du pouvoir militaire, il cessa d’être exercé par les tribus arabes, qui en furent exemptés sous réserve d'impôts (ils se sont entièrement tournés vers leurs intérêts civils: rentes, commerce et culture) . L'armée fut alors transformée en une coûteuse et dangereuses armée professionnelle , que l'on pensait plus docile que les tribus, composées d'abord de berbères venus du Maghreb, ensuite essentiellement d'esclaves européens,souvent slaves, affranchis une fois convertis, les saqâliba. Ces derniers constituèrent cependant une faction supplémentaire dans cette civilisation multi-culturelle, veillant également à ses propres intérêts et intéressée au pouvoir.

 

La puissance des calife l'imposent comme arbitres dans la région , par exemple lorsqu'il rétablit sur son trône le roi chrétien Sancho 1er de Léon, à la demande de la mère de ce dernier;( Episode du roi déchu parce que trop gros pour monter à cheval et du médecin juif de la cour califale envoyé pour y remédierxxiii). Cette puissance s'étendit jusqu'au Maghreb, à commencer par Ceuta en 931, puis Fès en 998. Mais sa puissance l'impose également comme interlocuteur incontournable du monde méditerranéen. Il reçoit, entre autres , l'ambassade du roi de Germanie Otton 1er, envoie un émissaire à la cour de Francfort, négocie avec l'empereur de Byzance, qui lui enverra des ouvriers pour réaliser des mosaïques dans la mosquée de Cordoue, ou des exemplaires de précieux manuscrits grecs.Signe du -déclin intellectuelle de la communauté mozarabe, l'empereur byzantin dût envoyer également un traducteur, car il n'y a plus un chrétien capable de lire le grec à Cordouexxiv.

 

Le plus intellectuel d'entre le califes, al Hakam II, s'est entourés d'artistes et de savants, avec lesquels il discutait. Il est réputé pour avoir rassemblé 400.000 livres.dans la bibliothèque de son palais xxv.Chiffre considérable mais bien conforme à ce qui se passait dans les grandes cours orientales.Un de ses ministre les plus importants fut le responsable de la communauté juive d'Andalousie, Hasdaï ibn Shaprut .Ibn Shaprut avait eu notamment une correspondance régulière avec le roi du royaume juif de Khazan. D'autres personnalités marquantes comme Samuel ha-Nagid, Salomon ibn Gabirol, Maïmonides,sont les fleurons de cet âge d'or du judaïsme . Les juifs connurent là leur plus belle époque historique, dans le cadre d'une culture arabo-musulmane qui les a profondément marqués. Leur langue courante était l'arabe, leurs livres et leurs poésie écrites en arabes,même si une part d'entre eux l'était également en hébreu , leur schéma de pensée philosophique se plaçait parfaitement dans le débat qui allait de Avicenne à Averroès : totalement « intégrés » comme on dirait de nos jours .

 

 

Voici un éloge juif écrit à l'époque pour célébrer ce temps et ce grand home  qu'était Hasdaï ibn Shaprut :

 

« Auprès de lui se rassemblèrent tous les savants de sa génération, resplendissants comme de brillantes lanternes, pour offrir la sagesse à tous ceux qui cherchent Dieu(...)

Depuis ce temps , les sciences prirent racine en Espagne, les indociles apprirent la doctrine et les poètes suivirent les indociles. (…)

Dans son temps, la sagesse se répandit en Israël, car il fut pour la science le père et le rédempteur. Après cette époque les brillants esprits s'éteignirent(...)xxvi

 

Cela vous montre que la « légende de la «Convivienza» ou de la «tolérance», n'était pas dénuée de fondement à cette époque-là. Autre signe parmi tant d'autres des rapports pacifiques entre communautés étaient le fait que, dans le réseau d'étapes des routes commerciales, les couvents mozarabes offraient sans problème le gîte sécurisé pour les voyageurs de toute religion.

 

La vie de à la cour cependant devient de plus en plus ritualisée et sophistiquée autour du khalife, sur le modèle des monarques orientaux, et aboutit finalement avec Al-Hakam II en 960, à un isolement total dans le palais.Au bout d'un siècle, ce phénomène aboutit au fait que le pouvoir réel passa totalement aux mains des vizirs , très puissants, mais manquant de légitimité.. Ce manque de légitimité provoqua, après le «règne» du grand vizir al-Mansûr en 981-1002, un crise profonde aboutissant à la chute de la dynastie en 1031 et au déclin rapide de Cordoue. Les diverses entités régionales, formant les Taïfas,se distancièrent par rapport au pouvoir central

.

Je reviens un instant sur les marques de tolérance et d'ouverture d'esprit qui régnaient à la cour. Il fut aussi la relativiser en prenant en compte également l'influence grandissante des juriste malikites, les fuqaha, faisant preuve de beaucoup de rigidité.Ceux-ci étaient déjà virulents lors de la révolte matée de Cordoue,en 818, mais étaient maîtrisés. Cependant leur influence grandissante réussit, par exemple à forcer vers l'an mil le puissant vizir Al-Mansûr à expurger la fameuse bibliothèque califale d' Al-Hakam II. Si à moment-là l'influence des juristes a bénéficié du manque de légitimité du pouvoir,un siècle plus tard sous les almoravides, se sera la bonne concordance idéologique qui jouera .Ce sont eux encore qui jouèront le premier rôle dans le pogrom de grenade plus tard.

 

Il convient à ce propos de rappeler aux esprits simplistes pour lesquels tout est ou blanc ou noir, que la situation n'était jamais simple et résultait d'un rapport de force interne entre les éléments les plus réactionnaires et les éléments les plus avancés, au sein d'une même culture, ou plus simplement, d'influences réciproques dans un débat animé.xxvibis Ainsi, l 'école juridique du malikisme n'expliquait ainsi pas , en elle-même l'aspect rétrograde des juristes (fuqaha) , puisque le très subtil et très avancé Averroès était lui-même un éminent juriste malikite. Autre exemple du rapport de forces complexe: le pieux mais réaliste Al-Hakam II aurait voulu imposer l'interdiction de la consommation vin et arracher les vignobles dans tout le pays, mais y renonça pour ne pas se rendre impopulaire et parce qu'on lui fit remarquer que ses concitoyens se seraient alors tourné vers l'alcool de figue.xxvii

 

Les TAIFAS 1035-1090

Un crise profonde du pouvoir central qui s'engagea alors aboutit à l'indépendance de fait de touts les petites entités, des quasi-états, que l'on nomme Taifas.(vient d'un mot arabe طائِفَة désignant des petites communautés) Différents puissants locaux dirigèerent les cités, ici les arabes (Séville), là les berbères(Grenade, Tolède), ou encore les saqalibas (descendants des esclaves militaires) (Almeria). Mais maintenant la référence tribale ne joue plus, les berbères régnant se proclamant d'origine arabe. Cela dura de 1002 à 1090.

 

Le seul monument remarquable qui nous reste d'eux est la magnifique Aljaferia, reste du palais fortifié de Saragose, édifié en 1065 , et dont la sophistication des décors frise le baroque.

Chacun de ces émirs locaux essayait d'attirer dans sa cour les meilleurs artistes et le meilleurs savants, ce qui se marqua par une efflorescence d'intellectuels à cette époque, dont le zâhirite Ibn Hazm 994-1063 , Azarquiel = al zarqalî (m.1100) et Avicebron = Ibn Gabirol (1028-1058) .

 

En courte évocation de cette vie de cour, je vais vous lire un extrait du livre le plus célèbre d'un des très sévères savants, Ibn Hazm ique je viens de citer, et qui traitait de l'amour : «Le collier de la colombe».Ce livre observe et décrit avec finesse tout une vie de la cour très raffinée des princes, qui sera désapprouvée par les rigides Almohades et Almoravides qui suivront bientôt.

 

خلوت بها والراح ثالثة لها وجنح ظلام الليل قد مد ما انبلج

فتاة عدمت العيش إلا بقربها فهل في ابتغاء العيش ويحك من حرج

كأني وهي والكأس والخمر والدجى ثرى وحيا والدر والتبر والسنج

«J'étais seul avec elle, nul tiers n'était là, si ce n'est l'ivresse de l'amour.

La nuit avait déployé son aile et l'obscurité s'était insinuée.

 

Cette jeune fille, je ne puis vivre qu'auprès d'elle. Mais, dites-moi, est-ce un crime de vouloir vivre ?

Il semble que mon être et le sien, la coupe et le vin, et l'obscurité soient la terre, la pluie, les perles, l'or et le jais. »ii

 

Ces petits émirats étaient l'expression d'une société civile, dont les princes et les cours avaient des préoccupations essentiellement culturelle, d'une société démilitariséeiii. Dans les campagnes, les villages, avaient des faibles défenses tout-à-fait autonomes. Leurs châteaux leur appartenait en commun et non à un seigneur local. Ils payaient leur tribut directement à l'émir sans dépendre d'un seigneur local.Ils bénéficiaient donc d'une réelle autonomie, mais pas de moyens efficaces face à une forte armée de chevaliers. Les petits états dont ils dépendaient étaient financièrement épuisés par les soldes des mercenaires composant l'armée ou par le tribut de vassalité, et le temps de réaction nécessaire à lever une armée trop long.

 

Dans ces conditions, la désunion des princes, l'absence de pouvoir central fort, et l'absence de structure militaire solide face à une aristocratie armée et guerrière qui s'était formée en face aboutit fatalement à une série de plus en plus accélérée de défaites et à l'essor irrésistible de la Reconquista. Le seul frein était la division entre les royaumes chrétiens eux même, auxquels ils leur arrivait de s'allier temporairement à l'un ou à l'autre pour mieux résister au plus menaçant. Cela n'empêche pas Tolède de tomber en 1085, ni Valence en 1087.

 


iNOTES BIBLIOGRAPHIQUES POUR APPROFONDIR LE SUJET

(ne sont cités que les ouvrages consultés)

xxiiiJ. PELAEZ del ROSAL « Les Juifs à Cordoue » Ed. El Almendro 2003 Pg 64 et H.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T2, pg 70

xxivJ. PELAEZ del ROSAL « Les Juifs à Cordoue » Ed. El Almendro 2003 Pg 62

xxvH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T3, pg 498

pour les bibliothèques en général voir Y.ECHE « Les bibliothèques arabes » Damans 1967,

xxviJ. PELAEZ del ROSAL « Les Juifs à Cordoue » Ed. El Almendro 2003 Pg 69

xxvibis D.URVOY"Le monde des Ulémas Andalous..."  Ed. DROZ 1978 Pg 204-205

xxviiH.LEVI-PROVENCAL « Histoire de l'Espagne Musulmane » Maisonneuve & Larose 1999 T2 pg 169; T3 Pg 278

xxviiiVoir A de:LIBERA « La philosophie médiévale » PUF 1993 pg 143

xxixIBN HAZM «Le collier de la colombe » trad L;Bercher Ed Le Savoir 2005 Pg 43 "ابن حزم"طوق الحمامة"

xxxP. GUICHARD-B.SORAVIA « Les Royaumes de Taifas » Geuthner & 2007 pg 139

xxxiJ et D SOURDEL « Dictionnaire historique de l'islam, PUF 1996 pg 75

xxxiiP. GUICHARD  « Al-Andalus » Pluriel 2011 pg 132

xxxiiiA de:LIBERA « La philosophie médiévale » PUF 1993 pg 146

xxxivVoir aussi AL-GHAZALI « La délivrance de l'erreur » Trad Boutaleb Albourag 2002 pg 55- 56

xxxvM. CRUZ HERNANDEZ « Histoire de la pensée en terre d'islam » Ed Desjonquères 2005 Pg 447

xxxviAL-FÂRÂBÎ « Idées des habitants de la cité vertueuse » Libraitie Orientale 1980

xxxviiIbn TUFAYL « Le philosophe Autodidacte » Mille et une nuits 1999

xxxviiiEncyclopédie de l'Islam 2 Brill 2005 tome XI, Pg 499

xxxixJ. PELAEZ del ROSAL « Les Juifs à Cordoue » Ed. El Almendro 2003 Pg 126

xlJF MATTEI, préface de AVERROES « L'intelligence et la pensée » Flammarion 2008 pg VIII

xli« Les Figures d'Averroès » PDF pg 18 CRDP de l'académie d'Aix-Marseille, 2009

xliiDans la Préface de: E. RENAN« Averroès et l'averrroïsme », préf DE LIBERA Maisonneuve & Larose 2002 Pg 11

xliiiAVERROES « Discours décisif » trad. LIBERA ,GF 1996 pp103-107

xlivM.BARRACAUD-A.BEDROZ « L'architecture Maure en Andalousie Taschen 1992

xlv H. HADJADJI « Le poète vizir Ibn ZAMRAK », Albouraq 2005 pg 96

xlviL'art Mudejar , Edisud, 2000

xlviiP. GUICHARD-B.SORAVIA « Les Royaumes de Taifas » Geuthner 2007 pg 9

xlviiiA. HÜSLER « L'espagne Médiévale » Infolio 2008 pg 117

xlixOn en sait peu de choses, sinon de manière éparse au travers d'écrits juridiques, comme celui d'ibn 'Abdun : voir H.LEVI-PROVENCAL « Séville musulmane au début de XIII° siècle » Maisonneuve & Larose 2001

lJ et D SOURDEL « Dictionnaire historique de l'islam » PUF 1996.

liEncyclopédie de l'Islam 2 Brill 2005 tome XI, Pg 499

liiJ. VERNET : « Ce que la culture doit aux arabes d' Espagne » Actes Sud 1985

 

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J
Je ne connaissais pas cette page, elle regorge d'informations précieuses.<br /> Mes félicitations
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