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Fatema Mernissi: "Le harem politique : le Prophète et les femmes", Albin Michel, 1987

Publié le par lectures-orients.over-blog.fr

Fatema Mernissi: "Le harem politique : le Prophète et les femmes", Albin Michel, 1987

coupe oiseau kirashan iran 10-11°Le livre de Fatema Mernisse  est d'un très grand intérêt à un double point de vue :

 

1° sur la question des femmes évidemment, et les femmes sont certainement mieux placée que moi pour commenter et développer ce sujet

 

Je me contenterai de faire remarquer que c'est avec la démocratie, un des deux thèmes essentiels de la confrontation de l'islam avec la modernité. Quand je dis confrontation, je ne veux pas dire « opposition », car l'on peut observer que cette religion a en elle, aussi bien que les autres, toutes les ressources nécessaires pour donner une réponse nouvelle et adéquate à ces problèmes de société en évolution. Et ce thème a fait éclore une très abondante et très dense littérature musulmane, aussi bien que des actions sociales féminines sur le terrain, démontrant la vitalité et la créativité de l'islam contemporain.(Je donnerai en fin de texte une petite bibliographie personnelle non exhaustive)

 

2° sur le rapport aux sources, c'est à dire sur aux Hadiths.

 

En effet, alors que la plupart des discours relatifs aux droits des femmes se réfèrent à des notions et des valeurs issues de la civilisation européenne, Fatema Mernissi a délibérément choisi de se baser exclusivement sur la voie traditionnelle de l'islam, à savoir la références aux hadîths.,

 

 

C’est sur ce deuxième point que je me concentrerai. Il est en général mal connu des lecteurs occidentaux, mais est cependant essentiel pour la compréhension de l'islam.

 

Petit rappel général, donc:

 

Tout comme les autres religion du livre, à coté du livre sacré (Bible, Coran), s'est développée une littérature religieuse de référence essentielle pour la définition du dogme et des pratiques religieuses, sans lesquelles sont incompréhensibles les conclusions qu'ont tirées de leurs textes sacrés ces trois religions monothéistes. Chez les catholiques c'est l'église qui a joué ce rôle, chez les juifs on a le Talmud , chez les musulmans, ce sont les hadîths.

Les hadîths sont les paroles et actions attribuées au prophète, qui ont été rapportés dans divers recueils, toujours tardifs, par des musulmans fidèles .Seuls quelques hadiths « sacrés » sont considérés comme les paroles de Dieu adressées directement à Mahomet et rapportés par celui-ci , les autres sont de simples relations de faits et dires, du Prophète ou des compagnons. Toutefois, vu l'exemplarité dont a été revêtue la personne du Prophète, devenu le modèle de référence humaine dans les siècles suivants, les recueils de hadîths ont servi de guide moral et légal au même titre que le Coran pour toutes le générations suivantes de fidèles. Avec les préceptes du Coran, les hadiths forment la Sunna d'où le nom d'islam sunnite pour le courant orthodoxe, même si les chi'ites utilisent également les hadîths.

 

Ce qui fait problème avec les hadîths, c'est le caractère tardif de l’établissement des recueils, d'une part , et d'autre part leur multiplication ( jusqu'à 700 000) , comportant de très nombreux faux. Beaucoup de ces faux étaient motivés par le besoin de faire justifier par le Prophète les pratiques politiques des khalifes au pouvoir, ou pour justifier sa propre tendance partisane... Devant cette prolifération, les savants musulmans ont été amenés à déterminer des critères de validité, établissant une distinction sophistiquée entre les hadiths les recevables (maqbûl ):Authentiques (sahîh), bons (hasan), et les irrecevables (mardûd): faibles(dha'if), inventés(mawdhûh), etc.. La faiblesse de cette classification est que le critère dominant de validité est celui de la validité de la chaine des transmetteurs (isnad) depuis la parole recueillie jusqu'au dernier transcripteur. Ce qui est transmis par une chaine ininterrompue de transmetteurs fiables est considéré comme authentique, quel qu’en soit le contenu. Il n'y a donc pas de critique interne, et si par exemple, ont trouve un hadîth transmis par une chaîne formellement valide ou l'on voit le Prophète parler d'un bâtiment n'existant pas au moment où il parlait, ce hadîth sera quand même validé ( A Dieu rien d'impossible: on évoquera le caractère prophétique des paroles).

 

De nombreux orientalistes ont étudié ce phénomène, à la suite d'Isaac Goldziher  (« Etudes sur la tradition islamique »), pour rejeter toute validité historique de ces hadîths. L'école orientaliste française étant la plus critique à cet égard. Cependant des études comme celle du suisse Gregor Schoeler (« Ecrire et transmettre dans les débuts de l'Islam »apportent un éclairage plus nuancé sur le problème, mettant en avant la valeur de la transmission orale, par le biais d'étudiants groupés autour d'une personne de référence, et décrivant le lent processus du passage progressif à l'écrit, depuis les notes furtives destinées à la mémorisation, jusqu'à la compilation monumentale. Dans toute cette transmission, c'est l’intégrité du transmetteur et surtout l'exactitude du sens du message qui est importe plutôt que son exactitude littérale. Même en présence d'écrits, la préférence sera longtemps donnée à la transmission orale par des transmetteurs autorisés. ( Un maître pouvait toujours contrôler et confirmer les dires de son élève; la distanciation impliquée par les écrits, recopiés ensuite, rendait le contrôle impossible). Cette approche a l'avantage de rendre compte de la logique interne de l'islam des débuts, alors que la méthode orientaliste classique opérant une distanciation critique distante , s'en montre assez incapable .

 

Pour les musulmans, par contre les recueils de hadîths de Bukhâri et de Muslim font partie des livres de référence incontestés. Les querelles se situent plutôt sur la signification à donner à certaines paroles controversées, plus rarement sur la validité de certains hadiths dont la transmission est moins fiable au plan formel.

 

 

Ou se situe Fatema Mernissi dans ce contexte ?

 

 

On peut constater tout au long du livre une attitude assez paradoxale, que d'aucun pourraient estimer ambigüe, de l'auteur.

En effet , elle a des paroles très dures sur l'utilisation politique des hadiths et de leur invention pour la cause du moment, disant carrément que l'époque de  la consignation par écrit ( après la période de la collecte orale) fut celle du départ d'une institutionnalisation de la censure, sous le califat abbasside ! Si il y a quelques raisons de dire cela, la conclusion me semble pour le moins outrée. Par la suite, elle n'a de cesse de mettre en évidence les conditions politiques dans lesquelles se sont produites les paroles du Coran et de la révélation. Elle va jusqu'à noter les troublantes opportunités de certaines « descentes » de la révélation au moment précis où le Prophète en a un besoin urgent. Tout cela dans une attitude somme toute fort proche des orientalistes précités.

 

En même temps, elle déclare très contradictoirement que les recueils de hadîths sont les instruments de travail « scientifiques » dont le musulman a besoin pour distinguer le vrai du faux. En effet, si sa critique des manipulations politiques est vive, elle ne manque pas d'accorder du crédit à la résistance « farouche » des savants face à ces manipulations. Et, si toute son ardeur critique est dirigée contre l'auteur douteux des hadîths antiféministes contestés, avec toutes les considérations historico-sociologiques destinées à relativiser la portée de ses propos, elle n'hésite pas à utiliser d'autres hadîths, allant dans le sens de sa thèse, en particulier ceux de Aïcha. Ainsi donc, sa démarche se situe parfaitement dans la lignée la plus traditionnelle des savants musulmans, habitués à combattre une opinion contestée, mais confortée par un hadîth, par un autre hadîth qui conforte, celui-là, leur propre opinion.

 

En quelque sorte, on pourrait donc considérer que Fatema Mernissi se situe, du côté féminin, dans la lignée des savants traditionalistes musulmans étudiants les hadîths, mais qu'elle ajoute aux outils traditionnels des argumentations sociopolitiques plus modernes, sans toutefois aller au bout de cette dernière démarche critique. Confortant cette impression, la plupart des ses remarques élogieuses sur les khalifes bien guidés, et sa vénération pour le Prophète se situent dans un cadre très sunnite. Cette impression est cependant un peu superficielle, car les savants étaient mus par une ardeur religieuse les motivant profondément et orientant leurs études. Ce n'est pas le cas du livre de Mernissi, dans lequel il n'est jamais question de foi. Le livre de Mernissi est empreint de sa révolte féminine, et l'admiration qu'elle porte au Prophète est plus l'admiration pour un héros très humain, que pour le messager de Dieu. On pourrait donc également la situer la lignée des « réformistes libérales », c'est à dire des arabes musulmanes ne reniant pas leurs racines culturelles, mais dont l'essentiel des motivations idéologiques, féministes en particulier, se situent dans les idéaux occidentaux. Son livre est cependant empreint d'ambivalence.

 

Donc, oui il y a moyen d'établir une vision intellectuelle favorable aux femmes dans les textes sacré; Mais encore : quelle en sont les perspectives religieuses, quel en est le sens ?

 

 

Je conclurai par des considérations plus spirituelles:

 

Il est en effet navrant de voir des partisans, de quelque camp que ce soit, utiliser des extraits choisis et filtrés comme arme de leur guerre idéologique. Ce n'est pas là l'attitude d'un croyant qui cherche réellement la vérité, et l'islam dit qu'il n'y a de vérité qu'en Dieu, que Dieu seul est savant. En un mot, si l'on croit en Dieu et en sa Parole Sacrée, il conviendrait d'avoir du respect pour sa Parole. Ne pas instrumentaliser les textes. Il faudrait être imprégné de la sacralité du texte, et tenter d'y découvrir, humblement, avec tous les outils rationnels dont on dispose (pratique de l' ijtihâd), aussi bien que par les outils du cœur et de la foi, le sens profond du message. Surtout il convient d'en avoir une perception globale et non de se fixer sur un point de vue, le seul qui nous intéresse, point de vue qui nous est propre et nous rendrait sourd au message divin. Ne s'agit-il pas s'agit de s'abandonner, avec son âme et sa raison à Dieu à travers sa Parole ? Prier, méditer, adorer, partager ensuite fraternellement une partie de la lumière transmise: c'est çà la religion. C'est ce que je ne retrouve pas dans ces livres polémiques, humains, trop humains. Pas de souffle qui vous transcende.

 

   

Et ces remarques, paradoxalement, viennent d'un athée, mais un athée qui reste à l'écoute et sait encore percevoir si son frère a encore en lui, ou non, le sens du sacré.

 

 

Ces remarquent n’ôtent rien de l’intérêt du livre de Mernissi, que je continuerai à recommander chaudement, mais cela en pose les limites. Après cela, il me semble qu'un musulman devrait relire le Coran, méditer et prier.

 

 

  Bibliographie 

 

 

Asma Lamrabet : "Aïsha épouse du Prophète ou l'Islam au féminin" Tawhid 2003

 

Fatima Naseef : "Droits et devoirs de la femme en Islam à la lumlière du Coran et de la Sunna" Tawhid 1999

 

Mansour Fahmy: " La condition de la femme dans l'islam " Gallia 2007

 

Nadia Khouri-Dagher " L'islam Moderne" Hugo & Cie 2009

 

Saba Mahmood "Politique de la piété" Le féminisme à l'épreuve du renouveau islamique Ed. La découverte 2009

 

Revue "Critique Internationale " N°46  Janvier-mars 2010 "Le féminisme islamique aujourdd'hui"

 

revue "De l'Autre Coté"  Automne 2009 , N° 5 GAZA

 

 

 

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