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Le droit des femmes au Maroc: LA MUDAWANA

Publié le par Yahia

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Compte-rendu d'une Conférence donnée par Mme EL BACHIRI Leïla (ULB) au CCAPL,

 

avec la participation de

Fatiha SAIDI et de Hassan BOUSETTA

 

 

Il était intéressant , de faire le point six ans après la promulgation de cette loi qui a déjà fait couler beaucoup d'encre.

 

L'oratrice a commencé par en faire l'historique, rappelant que le code précédant datait de 1957, et s'inspirait à tel point de la sharî'a, « élaborée au IX ° siècle » et donc marquée du caractère patriarcal de l'époque, qu'elle en a gardé fidèlement le principe hiérarchique de l'autorité maritale.

 

C'est précisément contre ce principe hiérarchique qu'ont lutté les féministes depuis les années 1980, se basant essentiellement sur les principes des droits universels des droits de l'homme et sur les conventions internationales. Ces arguments, n'ont toutefois eu que peu d'influence avant que le mouvement féministe n'y ajoute, vers les années 1990, des référents religieux. Il s'agissait alors de refaire une lecture du texte coranique débarrassée des préjugés patriarcaux et orientée vers les versets impliquant une libération féminine:la finalité des textes de la sharî'a devait être retrouvée, et devait permettre une interprétation plus favorable aux femmes (voir sur mon blog). (Pour ma part je m'interroge toujours sur le caractère sincère ou opportuniste de cette démarche, venant de ces femmes dont le raisonnement de base était très occidentalisé: l'avis de lecteurs informés serait apprécié).

 

 

Toujours est-il qu'en portant le débat sur ce terrain-là , elles ont forcé les islamistes à s’exprimer sur les questions de genre.

En 1992, cette évolution a aboutit à une pétition pour modifier la loi, mêlant les arguments laïques classiques aux arguments religieux « rénovés », qui a rencontré un succès de masse.Certains Ulémas ont réagi en criant à l'apostasie !

En 1999, fut lancée sur le plan gouvernemental un vaste « Plan d'action pour l'intégration de la femme au développement » comportant 242 mesures dont 17 seulement concernaient la Mudawana, sur lequel s'est focalisée l'attention. Parmi ces mesures envisagées, et les plus controversées :

le relèvement à 18 ans pour les filles de l'âge du mariage, le caractère facultatif de la tutelle pour l'autorisation du mariage,la suppression de la polygamie,le partage des biens acquis...

Les réactions négatives des milieux religieux ont mené à l'enlisement du projet.

Face à l'enlisement de ce projet, fut organisée à Rabat un grande manifestation féministe en faveur d'une modification de la loi, le 12 mars 2000, à laquelle les islamistes répliquèrent par une manifestation, dans l'autre sens, le même jour à Casablanca.L'attitude curieuse de l'islamiste Nadia Yassine est à épingler: elle n'était pas contre une réforme de la Mudawana, mais contre le cadre référentiel de ses antagonistes féministes.

 

Précision que le cadre référentiel chez les islamistes se centrait sur le plan individuel , le maître-mot de l'égalité individuelle, à tous les échelons étant destiné à bouleverser l'ordre patriarcal.

 

Du côté islamiste c'était la famille qui était la clé de voûte référentielle avec la notion de complémentarité au sein de la famille, menant à la différenciation des rôles.

 

 

Devant la division profonde de la société mise en évidence par ces deux manifestations massive, le pouvoir ne pouvait laisser pourrir la situation et décida de s'engager vers une synthèse-compromis, qui fut la promulgation en 2004 de la nouvelle MUDAWANA.

 

 

Le pouvoir royal produira ainsi un texte associant dans son système de valeurs à la fois les références islamiques et les références des droits de l'homme, avec les ambiguïtés et les compromis que cela implique.

 

Parmi les réformes attirant le plus l'attention, le passage de l'age légal du mariage pour les filles de 15 à 18 ans, l'abandon de l'autorisation de la tutelle auparavant nécessaire pour se marrie, l'abandon de obéissance au mari au profit de l'égalité des droits et devoirs, le fait que la femme peut désormais demander le divorce, et garder les enfants après le divorce.

Parmi les limites déplorées, la maintien (conditionnel ) de la polygamie, de la répudiation ( sou contrôle du juge) et de l’héritage inégalitaire défavorable aux femmes.

 

 

Il est à noter également qu'à défaut d'avoir eu le courage politique de trancher das les cas prêtant le plus le fla à la critique d'un côte ou de l'autre, les législateurs ont laissé un large part d'interprétation aux juges ( sur l'age légal du mariage ou sur la polygamie, par exemple).

 

 

De là l'intérêt de prendre connaissance des résultats des trois grandes études successives sur l'application de cette réforme dans le Royaume Marocain.

 

Du côté de l’opinion publique, il apparaît que , dans sa globalité , cette réforme est largement approuvée par tous , et que le thème de l'égalité travaille les mentalités et progresse; Cependant ,en même temps qu'un soutien global, les réformes rencontrent sur certains points des réticences persistantes, même chez les femmes. Il s'agit de sujet fortement connoté pas les traditions ancestrales, plus que par le religion elle-même: la tutelle matrimoniale, l'âge du mariage, et le partage des biens. Les réticences étant plus fortes dans les campagnes.

 

Au niveau des procédures, on remarque que ce sont les femmes qui en ont les plus souvent eu l'initiative, malgré que , de manière générale, ces procédures soient méconnues, que les justiciables ne connaissent pas bien les textes juridiques et ressentent comme éprouvant le parcours judiciaire.

 

 

Enfin les mentalités de juges et du parquet évoluent peu, et le résultat des procédure dépend fortement de leur personnalité : les deux référentiels de la loi( Sharî'a/droits de l'homme) mènent à des interprétations divergentes selon la personnalité du juge. Les « progressistes »ont une vision très large, et les « traditionalistes » une lecture restrictive des innovations .Pour ces derniers, on observe moins l'usage du droit positif et les les jugements se font souvent moralisateurs, dans le cadre d'une morale familiale avec des référents religieux.

 

Le corruption ambiante est également dénoncée.

 

On observe de plus un manque de moyens et de formation, les juges réclamant en particulier des mises à niveau en sciences humaines, pour lesquelles ils n'ont pas été formés.

 

On constate enfin une déshumanisation des procès, traités à la chaîne: un juge ayant à traiter régulièrement 50 affaires par jour.

 

Il faut noter enfin que cette réforme devait être accompagnée de toute une série de mesures d'accompagnement destinés à améliorer le sot de femmes et l'application de cette loi.Ces mesures n'ont en réalité jamais été appliquées. Deux chercheuses ont estimé qu'il s'agissait en fait, pour le pouvoir en place, d'une récupération des contestations féministes et islamiste, sous la forme d'un "féminisme islamique d'Etat ". Ont été trop rapidement évoquées les promotions de prédicatrices de mosquées (murshidat) et de théologiennes ('alimat).

 

 

En conclusion, l'oratrice a rendu hommage au travail remarquable des féministes marocaines dont les efforts incessants sur tous les plans ont amenés à ces changements positifs, tout en sachant qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. (  Sur ce travail remarquable , je recommande pour ma part le reportage très vivant  de Nadia Khouri-Dagher dont vos trouverez les références plus bas)

 

Un intervenant avisé, Monsieur Bousetta, a pour sa part fait remarquer que le point central de tout ceci consistait moins en un débat idéologique qu'en un résultat de l'évolution sociologique de la société, avec des différences marquées entre villes et campagne . Le point important étant la baisse du taux de natalité, réduit à trois enfant, qui amenait automatiquement un déclin du patriarcat. Il s'agit d'un changement « silencieux » de la société, la transition démographique stimulant la transition démocratique.

 

Pour ma part, je vois ici un bel exemple concret d'un compromis en Islam (voir mon article), et du rôle particulier des femmes dans les réformes du mode musulman ( voir mon article) sur lequel je reviendrai, Inch 'Allah.

 

Bibiiographie : Critrique internationale N°46 janvier-mars 2010" Le féminisme islmaique aujourdd'hui"

 

                           Chronique Féministe  N°94  jan-mai 2006 la Moudawana

 

                         Nadia Khouri-Dagher: L' islam moderne . Des musulmans contre l'intégrisme" Hugo  & Cie , 2009



 

 

 

 

Commenter cet article
P
C'est une très bonne nouvelle
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P
j'aime bien cet article qui touche un sujet qui va aider dans l'évolution marocaine
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Y
<br /> <br /> MERCI DE VOTRE LECTURE. J'avais laissé ce blog en attente depuis 2 ans. Plus disponible à présent, je vais my remettre.<br /> <br /> <br /> <br />
A
c'est génial votre blog, poursuivre ...
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Y
<br /> <br /> Merci de ces encoragements. Je vais donc m'y remettre ....<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Merci pour ce compte-rendu. J'espère qu'Aâya trouvera un jour le temps de donner son avis de musulmane marocaine sur le sujet !<br /> <br /> <br />
Répondre
Y
<br /> <br /> Tus les commentaires, surtout féminins, seront les bienvenus !<br /> <br /> <br /> <br />