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Réformes dans l’islam : un retard séculaire ou une certaine impatience ?

Publié le par Yahia

Réformes dans l’islam : un retard séculaire ou une certaine impatience  ?

 

 

Un échange lampe 8-9 °  de vues dans un forum bien intéressant  , mène à préciser mes réflexions au sujet des vagues de réflexions réformiste qui agitent  depuis quelques temps de nombreux penseurs musulmans.

 

Je pensais constater chez Rachid Benzine une certaine précipitation dans la pensée, qui lui faisait pousser en avant des envies de réformes  sans prendre suffisamment  en considération certaines bases incontournables de la tradition musulmane sunnite. Je critiquais en particulier une expression ou il qualifiait la révélation de « d’abord humaine-, ce qui a de quoi stupéfier dans la bouche d’un croyant-

 

Mon interlocuteur bien intentionné a voulu excuser cette  précipitation par d’impatiente face au six siècles  de « retard » de la pensée musulmane, sentiment que partageraient certains musulmans.
 

Je pense qu’il s’agit là d’un européocentrisme courant,même dans le chef de ces musulmans, mais mal venu.  C’est comme s’il était nécessaire  de jauger la progression de la pensée islamique à l’aune de l’évolution de la pensée chrétienne Je pense pour ma part que ces deux pensées se sont développées chacune indépendamment de l’autre, certes avec des rencontres, mais avec des logiques différentes. N’étant pas un adepte du mythe du progrès universel ,mythe moderne en perte de vitesse, je ne vois pas sur quel critère objectif l’on pourrait dire que l’une est « en retard » sur l’autre.

 

Sauf à revenir  à un bon raisonnement « marxiste » : l’évolution idéologique (ici : y compris la pensée théologique) dépend de l’évolution socio-économique de la société. Mais alors,  ce  qu’il faut jauger ce n’est non pas l’écart entre les aires culturelles différentes, mais l’écart entre la pensée d’une société et les besoins internes  de cette société même. Le retard éventuel serait alors le retard entre les besoins de la société et  l’état de son développement culturel.

 

Nous pouvons constater que la pensée catholique a pris un  retard certain à s’adapter à l’évolution de la société occidentale depuis la Renaissance  et que son acceptation actuelle des méthodes plus scientifiques d’analyse textuelle, d’analyses  historiques et archéologique, de critique moderne  est assez récente. Cette conversion fut lente et progressive, et ce n’est pas sans  réticences que le catholicisme a « capitulé » face à Galilée à Darwin, à la laïcité et la démocratie moderne (sans parler des chrétiens orthodoxes, ou protestants, chez qui on peut constater des combats d’arrière-garde)

 

La pensée islamique, quant à elle, a assez bien correspondu à l’état de la société qui l’entourait (certes cette société était à un stade de développement différent de la société occidentale, et dans un contexte d’engourdissement intellectuel généralisé depuis le 14° siècle, mais ce n’est pas cela qui importe), en tout cas jusqu’aux bouleversements profonds provoqués au cours du processus de colonisation/décolonisation. Les premiers mouvements notables de renouveau  datent  du  milieu du 19° siècle  (la Nahda,) un  siècle er demi d’efforts lents, progressifs mais opiniâtres. On peu estimer que cela ne fut pas fait dans le bon sens, ou pas de façon assez efficace , ou pas assez rapide, ou que sais-je encore. Mais ce mouvement était adéquat à l’évolution de la société de  son époque et nullement en retard

 

Avec l’accélération brutale de l’histoire, et la transformation profonde des états à majorité musulmane  l’on peut effectivement constater actuellement  un écart important entre la pensée  musulmane  traditionnelle et la société qui l’entoure. Mais si retard il faut avouer, il ne dépasse guère un demi-siècle (On oublie vite les notions historiques. Par exemple, aussi bien l’émir Abdel Khader que  les réformateurs  fondamentalistes que sont les frères musulmans étaient bien  au diapason des besoins spirituels  de leur société en lutte pour une décolonisation .Dans le cas des FM, j’affirme seulement qu’une idéologie qui recueille une telle adhésion massive  et populaire dans sa pratique sociale éducative politique et religieuse est en adéquation manifeste avec son époque, sans pour autant cautionner leur conception islamiste, ce qui est un autre débat) Pas de retard donc, à l’époque,  jusqu’aux  années 1950.

 

Encore faut-il lorsque l’on parle du retard actuel, se demander s’il est ressenti par tous les musulmans  au même degré,  et par rapport à quelles attentes ? Il y a une certaine confusion à ce sujet et force est cependanrt de constater que celles des indonésiens ne sont pas identiques à celles de égyptiens ou des européens

Pour les musulmans arabes cependant , si cet écart a un caractère crucial, il  ne touche évidemment pas que le domaine religieux :l’explosion politico-sociale actuelle est assez éloquente à ce sujet et démontre à suffisance le niveau des  frustrations et des impatiences. Cependant, au niveau réflexif, voir les insurgés –et les insurgées- s’arrêter pour prier, et la plupart remercier Allah de la victoire, devrait nous inciter à ne pas émettre de conclusions trop hâtives quant à l’inadéquation entre l’islam- du moins tel qu’il est vécu sinon tel qu’il et pensé- et les aspirations modernes de la société.

 

C’est problement pour l’islam européen que la question se pose avec le plus d’acuité.

 

Réformes dans l’islam : quels résultats ?

 

 

Ce à quoi nous assistons maintenant , en matière d’effort vers un renouveau,  outre ceux des héritiers spirituels de la Nahdha, et dont T.Ramadan est le plus illustre représentant, c’est un mouvement de pensée influencé par les nouvelles recherches critiques  sur le plan historique, sociologique, psychologique , d’analyse textuelle, etc..  ces intellectuels essayent tout naturellement d’utiliser ces nouveaux  outils à leur propre religion ( et également des  outils critiques plus anciens, déjà subis puis adoptés par les chrétiens).

 

Rachid Benzine en a fait une étude fort passionnante dans son livre sur  «Les nouveaux penseurs de l’islam» en se centrant sur huit penseurs plus novateurs, mais dont l’expression de l’engagement proprement religieux par leur écrit variait notablement. Ainsi au contraire, d’un Soroush ou d’un  Sayyed Qutb, profondément impliqués, les auteurs d’expression française, notemment, se sont distingués, dans leurs écrits à tout le moins, par une réelle distanciation par rapport à leur sujet d’étude. M.Arkoun et Abdelmajid Charfi sont les représentants les plus remarquables de ces études islamologiques. (voir réf. plus bas). Ce sont tous naturellement ces livres écrits en français qui ont le plus d’écho chez nous, et elles rencontrent tout aussi naturellement les problèmes de la rencontre – confrontation des deux cultures en Europe. De là un certain européanocentrisme dont je parlais plus haut en ce qui concerne la problématique du « retard » pressenti de l’islam : on oublie vite la multiplicité des cultures qui sont imprégnées par l’islam .

 

En réalité, ces intelectuels arabes  francophones me paraissent essentiellement mûs par  un sentiment d’étouffement intellectuel imposé par la méthologie traditionaliste séculaire , qui avec sa clotûre de l’ijtihâd, son recours partial aux hadiths filtrés, ses commentaires de commentaires, son rejet obsessionnel de toute innovation (Bid’a) et son perpétuel recours à des arguments d’autorité  ne laisse effectivement que peu e place à une réflexion personnelle et au recours aux avancées des sciences humaines. Mais la voie qu’ils suivent, axée exclusivement sur ces avancée critiques ressemblent à bien des égard à une fuite en avant, à défaut de se bâtir d’abord sur une foi solide et sur une réflexion théoligique approfondie comme l’ont fait d’autres rénovateurs (Souroush, Iqbal…) ou les théologiens catholiques par exemple. A les lire , on a l’impression de  devoir tout reprendre à zéro et de devoir gommer 14 siècles de réflexions et de prières … L’héritage culturel est ainsi autant aboli que chez ceux qu’ils combattent, me semble-t-il. (Les salafistes font de même dans une tout autre direction)

 

Dans ces conditions, à quoi ont abouti ces écrits dans l’aire culturelle francophone ? A peu de choses :  ces vues nouvelles en sont restées pour l’instant à des pistes de réflexion sans suite,  à des vœux pieux qui n’ont abouti à aucune application concrète, ni à aucun travail approfondi sur les textes. En particulier aucun Tafsîr (commentaire du Coran) n’en est sorti .Ne serait-ce pas justement parcequ’elles se situent exclusivement dans une modernité qui sépare l’étude critique de l’engagement de la foi, et que chez ces auteurs on ne voit pas un approfondissement conjoint des deux démarches 

 

 Par ailleurs on peut penser aussi que ces préoccupations intellectuelles  de haut niveau ne répondent pas aux attentes concrètes d’une masse de croyants qui dans la même aire culturelle rechercheraient plûtot un approfondissement de leur foi et des certitudes pour affronter un environnement hostile ( dans le chef des européens) que de nouvelles inquiétudes critiques. A cet égard je remarque que l’écho et l’acceuil envers ces penseurs est bien plus grand dans l’environnement chrétien que dans les milieux musulmans : chacun sur le web pourrait faire le même constat.

 

Je serais injuste et de mauvaise foi cependant de ne pas saluer les avancées , dans la conscience des muslumans, de la pensée  critique moderne dans deux  les domaines cruciaux que sont la démocratie et les droits de femmes. Il me semble caractéristique que ce soit chez les femmes, les plus concernées socialement par le retard de la penseé traditionaliste, que la concrétisation des nouvelles façon de penser l’islam, ait eut ses développement concrets ( voir articles Mudawana et Mernissi). Mais il faut également noter que ses avancées concrètes ne se font qu’en utilisant d’une autre manière la grille de lecture traditionnaliste comme par exemple le fait Mme Farida ZOMOROD pour la mudawana . Il faut une fois de plus noter que ce sont les changement sociétaux très concrets qui ont amenés les croyents à sentir le besoin d’interprétations nouvelles. Ainsi l’aurais tendance à penser que les chagments si impatiamment attendus par d’aucun ont besoin d’un lent murissement conjoint des conditions socio-politiques des sociétés musulmans, de la foi des chercheurs, et de leur enfagement sur ces deux plans. L’islam, encore moins qu’une autre religion, ne  se vit ni ne se réfléchit en huis-clos : elle a besoin de la communauté, de la ‘ummah Si mythique qu’elle soit , il me  semble que ces penseurs l’ont trop négligée.

 

 

Et c’est dans le courant de pensée écarté du champs d’étude de Benzine que l’on peut constater les progès les plus manifestes. Ces gens là partent d’une fidélité exigente aux textes et limitent leurs rénovation à la comprehension du contexte et de l’esprit. Ils sont dès lors crédibles, à la fois humainement et intellectuellement.  Là, les réformes ont un impact, sont mieux acceuillies Chez certains islamistes d’une part , comme chez Tariq Ramadan d’autre part, on peu observer l’utilisation des concepts nouveau mis au service de leur vison plus traditionnelle de la religion. Les avancées que je lis chez un Tariq Ramadan,très ouvert à la société moderne, tout en estatnt ferme sur les fondements traditionnels de sa foi,  ou chez une NadiaYacine, qui intègre des visions plus justes sur la femme tout en restant idéologiquement très centrée sur sa vision traditionnelle des rôles répartis, me paraissent avoir , chacun de leur côté et à leur manière, beaucoup mieux intégré , même partiellement,les nécéssité de la modernité que ce qu’ont pu faire les penseurs précités.

 

Cela étant, il reste à analyser  plus finement l’islam en Europe, plus expose à la  confrontation aux idées nouvelles, mais également se trouvant dans des conditions socio-politiques bien différentes de celles du reste du monde arabo-musulman…

 

Pour faire avancer le débat, j’espère lire quelque réaction de mes lecteurs sur cet article quelque peu provovateur et à contre-courant...

 

Bibliographie pour aller plus loin :

 

Rachid Benzine : Les nouveaux penseurs de l’islam 

Mohammed Arkoun : Pour une critique de la raison islamique

                                    Penser l’islam aujourd’hui

Abdelmajid Charfi : La Pensée islamique, rupture et fidélité

                                      L'islam Entre Le Message Et L'histoire

Tariq Ramadan : Aux sources du renouveau musulman

    La réforme radicale - Ethique islamique et libération

 

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